La 12e édition de la Nuit Blanche Cinéma et Droits Humains s’est déroulée avec succès les 23 et 24 juin 2023, organisée par l’Association des Rencontres Méditerranéennes du Cinéma et des Droits de l’Homme (ARMCDH).
La Nuit Blanche a rassemblé un public passionné de plus de 600 personnes, désireuses de découvrir les perspectives uniques que le cinéma peut apporter aux enjeux du sport et des droits humains.
Les projections de films ont eu lieu sur l’esplanade de la Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc (BNRM), créant une atmosphère cinématographique magique sous les étoiles, du coucher au lever du soleil et en ligne à travers la plateforme cinéma digitale de l’ARMCDH.
La programmation cinématographique a été soigneusement sélectionnée, mettant en avant des œuvres marocaines, des fictions et des documentaires, qui ont captivé le public par leur narration poignante et leur réflexion sur les thèmes du sport.
Huit films inspirants sur la thématique du sport ont été projetés :
“Lebnat” de Karim Hapette, un documentaire inspirant sur le football féminin au Maroc.
“Wake Up Morocco” de Narjiss Nejar, qui nous a plongés dans l’émotion du football au cœur du pays.
“Tasgoudrar” d’Ayoub Abouizza, un court métrage documentaire poétique sur la passion du surf.
“Broken Mirror” d’Othman Saadouni, un documentaire captivant sur l’art du breakdance.
“We are People” de Philippe Fontana, mettant en lumière les histoires inspirantes du handisport.
“Le Grand Petit Miloudi” de Leila El Amine Demnati, un documentaire touchant sur le cyclisme.
“Al Qimma” de Mehdi Moutia, qui a exploré l’audace des alpinistes au sommet des montagnes.
“Nadia Butterfly” de Pascal Plante, une fiction envoûtante qui a plongé dans le monde de la natation.
La Nuit Blanche Cinéma et Droits Humains a été l’occasion de promouvoir la réflexion sur les droits de l’homme à travers la puissance du cinéma et de renforcer les liens entre le public et les problématiques sociétales qui nous concernent tous.
le sport entre droit et politique publique
La 12ème édition de la Nuit Blanche Cinéma et Droit au Sport a été marquée par un débat qui s’est tenu à l’auditorium de la Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc. Le débat a eu lieu le samedi 24 juin 2023, de 18h30 à 20h30, après une nuit de projections de 7 films inspirants sur le sport et les droits humains
La table ronde a été animée par Madame Fadoua Maroub, présidente de l’Association des Rencontres Méditerranéennes du Cinéma et des Droits de l’Homme. Les participants au débat de cette édition venaient de différents domaines : Yvan Gastaut, historien et spécialiste de la question de l’immigration en France, Abderrahim Bourkia, sociologue et professeur de sociologie du Sport et de Médias & sport, Philippe Fontana, réalisateur de documentaires de société, Amine Zariat, président de l’Association TIBU Maroc, spécialisé dans l’éducation et l’insertion sociale par le sport, Lyazghi Moncef, chercheur en politiques sportives et professeur de Droit au Sport et membre du comité scientifique du musée national du football marocain, et Abdelhadi Hanine, président de l’Association Maroc Avenir – Khouribga.
Le débat s’est articulé autour de trois axes principaux :
1. Axe 1 : Peut-on parler d’une politique publique du sport au Maroc?
2. Axe 2 : La dimension sociologique du sport a été explorée, mettant en évidence le rôle du sport en tant qu’élément fédérateur et révélateur des fractures sociales.
3. Axe 3 : L’approche des droits de l’Homme dans la politique sportive a été discutée, en examinant comment les droits humains sont pris en compte dans l’élaboration des politiques sportives.
Madame Fadoua Maroub a rappelé les événements récents liés à la Coupe du Monde de football et les questions relatives aux droits de l’Homme qui ont été soulevées à cette occasion, qui ont motivé le choix du thème du sport entre droit et politique publique pour cette édition.
Concernant le premier axe, il est d’abord fait mention du préambule de la loi Dahir n° 1-10-150 la loi n° 30-09 relative à l’éducation physique et aux sports, de ce texte émane l’idée, que le développement du sport est le premier jalon dans le processus d’édification d’une société démocratique et moderne, et constitue un levier de développement humain et d’épanouissement de toute personne, notamment des personnes handicapées, un élément important de l’éducation et de la culture et un facteur fondamental de santé publique. Il mentionne aussi que l’appui au développement du droit au sport est une mission qui incombe au Gouvernement Marocain.
Les intervenants ont mis en exergues plusieurs points importants :
Comme l’a souligné Moncef Lyazghi, il aura fallu attendre juin 1988 pour que les parlementaires marocains adoptent une législation sur le sport. La loi 06-87 qui réglemente l’éducation physique et les organisations sportives est aujourd’hui en vigueur, cependant, aucun amendement n’a été apporté à ce texte depuis son adoption.
Le constat est clair : il y a une véritable absence de la dimension ‘droit au sport’ dans les textes législatifs régissant le sport au Maroc bien que
ce droit ait été constitutionnalisé à l’article 33. La constitutionnalisation de ce droit devrait pourtant engager la responsabilité des pouvoir publics à ‘Faciliter l’accès des jeunes à la culture, à la science, à la technologie, à l’art, au sport et aux loisirs, tout en créant les conditions propices au plein déploiement de leur potentiel créatif et innovant dans tous ces domaines’, cependant, ces lois, à l’image de beaucoup d’autres lois n’ont pas été harmonisées avec la loi fondamentale.
La mise en œuvre de la politique sportive nécessite plusieurs intervenants de fait : les pouvoirs publics, les secteurs privés et la société civile. Mais il n’existe aucun document écrit dans une logique programmatique qu’on peut qualifier de ‘politique publique’ transcrite évaluable.
Il semblerait qu’il y ait une véritable absence de continuité du service publique au Maroc dans la mise en place des politiques publiques sportives, sauf dans le domaine du football qui est qualifié par monsieur El Yazghi comme étant « le plus grand parti politique au Maroc » qu’en ce sens le spectre sportif marocain n’est pas abouti car il excellerait seulement au profit de la « diplomatie footballistique».
Sur cette question, le football est un sujet récurrent du débat. Le football est le domaine sportif dans lequel les pouvoirs publics et les secteurs privés investissent le plus. Révélant simplement que les bénéfices générés par les milieux sportifs guident l’octroi ou non de financements publics. On remarque ce clivage en se penchant sur l’absence de coordination des différents acteurs de cette politique publique censés garantir le droit de tous les sports à toutes et tous. Il faut une coordination entre les organisations professionnelles sportives, sur les infrastructures sportives existantes et surtout une coordination du volet culturel à ce sujet. En effet, un certain nombre de sports ne sont pas encore admis dans la société marocaine et ont besoin d’infrastructures leur permettant d’émerger : leur donner de la visibilité par la culture est un moyen non-négligeable.
Dans un deuxième temps le débat a été orienté vers les dimensions sociologiques et politiques du sport à la fois en tant que moyen d’intégration sociale pour la jeunesse dans leurs pays et dans les pays d’accueil des migrants. À ce sujet, Monsieur Gastaut souligne l’importance de voir la garantie du droit au sport comme outil d’intégration sociale, culturelle et ethnique. Monsieur Gastaut énonce que “Le sport est un terrain de mise en scène de l’intégration sociale et permet notamment de soulever des questions d’interculturalité”. Historiquement, il a été prouvé que le sport est un outil éducatif, voire même un régulateur social. Le sport de haut niveau permet une représentation identitaire ce qui entraîne des débats politiques quant aux différents modèles sociaux de réussite. Grâce à cela, l’intégration par le sport est promue.
Sur la question de la politique d’intégration par le sport, monsieur Gastaut énonce que celle-ci existe depuis les années 1960. Ce sont les jeunes générations qui sont le plus concernées par la question d’intégration par le sport : par la pratique sportive, on peut trouver une place dans la société, c’est le cas notamment pour les populations étrangères qui arrivent sur un territoire. Qualifié “d’outil curatif canalisant la jeunesse” par M. Gastaut, le sport est un véritable outil éducatif, permettant l’intégration par le haut.
Une autre dimension a été soulevée par Abderrahim Bourkia, sociologue, qui a beaucoup travaillé sur les ultras (Les Ultras forment une catégorie
particulière des supporteurs assistant
aux compétitions sportives, dont le but est de soutenir de manière fanatique son équipe de prédilection.). Ces ultras qui dans leur configuration et leur slogan expriment un malaise sociale exprimé des fois de manière assez violente révèlent la capacité du sport à visibiliser les fractures sociales, mais aussi le lien viscérale qui existe entre la politique du sport et les autres politiques publiques défaillantes ( éducation, santé, emploi, etc).
Monsieur Lyazghi s’est exprimé au sujet du devoir de mémoire qui incombe au Maroc en ce qui concerne l’histoire du football, et la nécessité de créer un musée national du football Marocain. L’objectif est de conserver et de rendre disponible à toutes et tous des images et des objets historiques qui retracent l’histoire du sport, et par la même occasion celle de la construction du Maroc à travers la pratique sportive.
Les témoignages de M. Abdelahadi Hanine et M. Amine Zeriate, ont démontré la capacité des acteurs civils à mettre la lumière sur les aspects défaillants de la politique publique. L’expérience de l’association Tibu, présentée par M. Zeriat en matière d’éducation et d’intégration par le sport dans différents milieux (éducatif, carcéral, etc) a montré encore une fois le lien entre le sport et les différentes politiques publiques et la place stratégique des acteurs civiles dans la politique du sport.
De son côté M. Hanine, président de l’association Maroc Avenir a témoigné de son expérience avec les jeunes breakdancer de Khouribga pour les aider à la reconnaissance sociale de ce sport, à la recherche d’espace d’entraînement, à l’intégration dans une dynamique de compétition internationale grâce à la fédération de Fédération Royale Marocaine des Sports Aérobics, Fitness, Hip Hop et Disciplines Assimilées et l’encadrement pour que ces jeunes puissent être organisés dans un cadre associatif permettant leur développement de manière autonome.
Il y a aussi une nécessité de mettre en avant les structures qui, grâce au sport, permettent une intégration économique des jeunes.
D’après Monsieur Zariat, l’éducation par le sport est un domaine qui est porté par la société civile qui a cependant besoin de plus de soutien des structures institutionnelles gouvernementales.
Les acteurs de la société civile ont pour mission d’influencer les politiques nationales, les jeunes doivent formuler la demande : c’est à eux d’impulser des demandes et c’est au gouvernement d’y répondre en garantissant le droit au sport par la mise en place de politiques publiques inclusives. C’est un travail qui, dans le cadre du travail accompli par son association Tibu, s’avère fructueux alors qu’on assiste à une réelle intégration économique et sociale des jeunes par la pratique du sport.
Monsieur Hanine énonce également que lorsque les associations ont tendance à prendre le relai sur les structures institutionnelles dans la mise en place de projets de développement par le sport, elles sont parfois vues comme rivales par les institutions publiques. Cette approche contre-productive révèle que le service public à lui seul n’est pas suffisant pour garantir le droit au sport. Il faut travailler vers une meilleure collaboration entre la société civile et les structures institutionnelles qui chacun de leur côté possèdent des outils essentiels à la garantie du droit au Sport pour toutes et tous .
Enfin, le débat est revenu sur la question : y a-t-il une approche droits l’Homme dans les politiques publiques sportives, sur la question de l’inclusivité dans le sport, il est nécessaire que le droit en vigueur assure l’accès de façon égalitaire à la pratique sportive, à toutes et tous quelque soit le genre, la classe sociale, les capacités financières, le handicap ou non… seulement là pourra t’on parler d’un réel droit au sport.
Aujourd’hui au Maroc, on ne peut pas dire que ce soit le cas. Les acteurs de la société civile sont un outil dont l’utilité est non négligeable dans le sens où ils révèlent les fractures sociales existantes et sont moteur d’intégration et de changement social. Cela, malgré le fait que la législation marocaine fait mention de la nécessité d’inclure les personnes en situation de handicap dans la pratique du sport (loi 07-92). L’administration Marocaine veille à cette inclusion par la création de centres d’entraînement ainsi qu’en mettant en place une formation des entraîneurs et l’octroi de subventions aux associations qui s’intéressent au handisport.
Monsieur Fontana a retracé dans son film documentaire ‘We are people’ l’histoire de la lutte pour l’inclusion des personnes en situation de handicap dans le sport depuis l’antiquité à aujourd’hui. Son œuvre constitue aussi un devoir de mémoire, celui de la lutte pour l’égalité entre toutes et tous dans la pratique du Sport où la lutte pour l’émancipation et l’inclusivité. Il énonce que selon les cultures et les régions du globe, l’inclusion des personnes en situation de handicap n’est pas au même niveau que pour d’autres, des personnes en situation de handicap étant toujours largement marginalisées.
Monsieur Fontana fait le parallèle avec la question du genre, celui-ci souligne que les inégalités sont particulièrement persistantes : si l’accès au sport s’avère déjà plus difficile pour femmes que pour les hommes, cette tendance est toute aussi prononcée dans les milieux sportifs réservés aux personnes en situation de handicap, où les femmes sont encore défavorisées en comparaison aux athlètes masculins.
En conclusion :
Il est nécessaire d’harmoniser les lois relatives au sport avec la nouvelle constitution, en intégrant le droit au sport et la responsabilité des politiques en la matière. De plus, il convient d’adopter une approche fondée sur les droits Humains dans la formulation et la mise en œuvre de toute politique sportive.
Le débat a également souligné la capacité du sport à rassembler les identités et les nations, mais aussi à mettre en lumière les fractures sociales. Toute politique publique en matière de sport est étroitement liée aux autres politiques économiques et sociales.
La société civile joue un rôle crucial dans la promotion du rôle du sport dans la société, en mettant notamment en évidence les lacunes d’une certaine “politique publique du sport” et en cherchant à les combler avec les ressources disponibles.
Il est urgent de transcrire les interventions des différents acteurs dans le domaine du sport dans un document programmatique, auquel les différents gouvernements devront adhérer et suivre jusqu’à sa mise en œuvre complète, tout en évaluant ses résultats.
Le manque d’intérêt des partis politiques pour le sport et leur absence de vision quant à son rôle social et politique dans leurs programmes sont des problèmes à prendre en compte.
Le projet du Musée national du football marocain revêt une grande importance, car il permettra de reconstituer l’histoire dispersée et la mémoire de ce sport national. Il offrira au public l’opportunité de mieux le connaître et d’en tirer des leçons pour l’avenir du sport au Maroc.